Trop, c'est Trop !
Un vent glacial s’infiltre sous mes vêtements pourtant trop abondants. C’est la morsure de l’hiver, qui se remet à souffler à travers les branches - dépourvues de feuilles - des arbres qui bordent la rue. Mes pas résonnent dans ma tête tels un tambourin ne formant qu’un avec les battements de mon cœur. Au loin, des nuages, d’un gris menaçant, commencent leur invasion dans le ciel d’un bleu pur. Une tempête de neige se prépare…Je suis un homme qui pense et réfléchit trop. Je pense à ma situation, à des avenirs impossibles avec des personnes pratiquement imaginaires : en bref à une autre vie dans l‘espoir incontesté que le mot trop plie bagage et pars très loin de mon vocabulaire.
Chaque matin, je me regarde dans la glace et me vois incomplet. Une partie de moi manque. Pour tout vous dire, celle-ci a quitté ma vie pas plus tard qu’une semaine. Mais pour moi, c’est déjà trop.
Vous l’aurez sûrement compris, l’excès fait parti intégrante de ma vie. Tout me paraît trop : de ma consommation en sucrerie jusqu’à ma vie.
Pourtant je ne suis pas gros, non car je fais trop de sport.
Trop est un mot qui me poursuit comme un chiffre poursuivrait une personne. Mais qu’ai-je fait pour qu’il me poursuive ainsi ? Mes actes sont sûrement trop irréfléchis (et voilà, ça recommence).
Ce petit mot signifiant l’excès a pris une place importante dans mon vocabulaire restreint sans m‘en avertir ni même me demander mon avis. En effet, je ne peux pas dire cinq phrases sans que le mot trop n’y figure. Mais quel culot !
Oui je sais je me plains trop mais qu’y puisse-je, je fais trop de tout.
Le vent m’engourdit et j’en viens à me dire que celui-ci est trop froid à mon goût. Mais peut-être est-ce aussi parce que je marche trop lentement. Seulement si j’accélère je suis pratiquement sûr que je marcherai trop vite et je finirai par m’essouffler. Oui, chez moi, le terme « juste milieu » m’est inconnu. Oh oui, j’ai essayé de chercher le juste milieu, seulement, à force de trop chercher j‘ai contredit ma volonté.
Mais qu’ai-je à me tourmenter pour un petit mot tel que trop. Ou la question plus judicieuse serait peut-être : pourquoi ce mot me tourmente. Il va me rendre fou, c‘est évident même trop...
La tempête commence…Le vent, trop fort, me fait vaciller. La neige se met à tomber dru. Je suis seul dans la rue. Je suis encore trop loin de ma destination pour courir et les arbres sont trop bien taillés par les propriétaires pour que je puisse m’abriter.
Mes pensées s’orientent finalement vers les événements de la semaine précédente. Installé sur une chaise en face de ma bien-aimée, la seule femme que j’ai aimé. Elle menace de me quitter et je ne peux, hélas, rien faire. Seulement la regarder et écouter ses mots qui me fendent l’âme. Puis, elle me quitte, sûrement pour toujours, cette partie de ma vie qui me manque à présent. Seuls les souvenirs perdureront…
Mes yeux me piquent mais avant que les larmes se frayent un chemin, je les ravale… Je ravale ma peine.
Le froid continue de me meurtrir : mon nez devient rouge et mes mains insensibles. Je frotte ces dernières pour obtenir un semblant de chaleur mais en vain.
Soudain, j’arrive à ma destination, j’arrive devant elle, celle qui m’a infusé la vie et m’a quitté trop vite, beaucoup trop vite : la femme de ma vie. Je ne sais que dire et ce n’est sûrement pas elle qui entamera la conversation.
La tempête bat son plein et une fine pellicule de neige recouvre mes vêtements. Je souffle sur mes mains meurtries cherchant mes mots. Finalement je déclare d’un ton haché par le vent glacial :
« Je n’ai jamais pris le temps de te dire combien je t’aimais »
Mais quel pitre faisais-je ! Je n’attends pas de réponses, il n’en y a pas à attendre. C’était la seule qui m’ait accepté malgré mes excès. Quand elle était encore près de moi, elle ne me considérait pas de trop comme de nombreuses personnes, non, elle m’a toujours tenu une place dans son cœur et je lui en suis reconnaissant. Cependant, je n’ai jamais pris le temps de le lui dire et je m’en voulais affreusement.
Car, dorénavant il est trop tard. Ma vie n’est composé que de « trop ».
Trop, c’est Trop ! Je donne un coup de pied dans l’air m’efforçant de retenir mes larmes.
Il ne restait plus que devant moi, sa tombe. Elle m’avait quitté, sa maladie avait gagné.
Les larmes coulent désormais sur mes joues les réchauffant trop peu. Je me retourne pour partir et dis dans un souffle :
« Je t’aime, maman »